27/06/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

La révolution textile

01/10/2011
Les fibres Flycool doivent la sensation de fraîcheur au toucher qu’elles procurent à l’addition de particules minérales. (AIMABLE CRÉDIT DE FLYCOOL)
Àl’Exposition universelle de Shanghai l’année dernière, les quelque 300 000 bénévoles en polo vert et blanc qui accueillaient les visiteurs ont été surnommés « les bok choi » – les petits choux chinois. Le tissu de leurs polos était un mélange de Flycool et de Sorona, des fibres créées par la société taiwanaise Flycool pour la première et par DuPont Taiwan pour la seconde.

Billy Hu [胡詠欽], le directeur général de Flycool, explique qu’on espère toujours des vêtements d’été qu’ils sèchent facilement tout en restant frais au toucher, mais que, techniquement parlant, il s’agit d’objectifs difficilement conciliables.

Mission impossible

Pour être confortables, les vêtements d’été doivent absorber la transpiration qui perle à la surface du corps tout en favorisant son évaporation : l’effet sec. Mais ils doivent aussi aider le corps à lutter contre les températures élevées : l’effet rafraîchissant. Ces deux effets peuvent être obtenus avec l’utilisation de deux types de fibres différentes. Or, si on se contente de les tisser ensemble ou de superposer deux couches de textiles pour additionner ces deux propriétés, le résultat sera un tissu trop épais pour la chaleur estivale.

Flycool a résolu ce problème en intégrant à ses tissus divers composés minéraux. D’une manière générale, les particules qui absorbent la chaleur rapidement la dissipent également rapidement, et vice versa. L’ajout de poudre de jade à un textile le rendra d’abord frais au toucher, mais sa température s’élèvera lorsqu’il sera porté. Billy Hu a passé plus d’un an à tester divers minéraux pour en sélectionner six ou sept.

La cristallisation, la fluidité et la facilité avec laquelle les particules se disséminent dans les fibres tissées ont leur importance. Les minéraux doivent être réduits en une poudre aux grains d’une égale finesse qui sera étalée uniformément sur le tissu, lequel aura ensuite la propriété d’absorber la chaleur doucement et de la dissiper rapidement. De plus, la fibre doit être structurée de sorte que ses propriétés anti-humidité soient maximisées. Et pour que le tissu soit le plus léger possible, il doit être réalisé avec une fibre à fil unique.

Des tests ont permis de montrer que les vêtements en Flycool apportent une sensation de fraîcheur : de 1 à 2 degrés de moins lorsque le corps est au repos, et de 3 à 5 degrés après une activité physique au soleil, comparé à des vêtements en fibres non techniques. Du coup, habillé de Flycool, on peut remonter la clim d’un degré... « Une climatisation réglée à un degré de plus, c’est 600 g de CO2 d’émissions en moins par personne et par heure », affirme Justin Huang [黃偉基], le secrétaire général de la Fédération taiwanaise du textile. Pour une usine avec 1 000 ouvriers, cela permettrait d’économiser au moins 144 t d’émissions de CO2 par mois, calcule-t-il.

Fibres vertes et innovantes

Billy Hu a commencé à travailler sur la fibre Flycool en 2006. Avec les incitations mises en place par le gouvernement pour encourager les entreprises textiles à développer des produits ayant des caractéristiques intéressantes du point de vue de la protection de l’environnement, l’industriel a compris qu’il existait dans ce domaine des opportunités à saisir. La conception de Flycool a pris une année, puis Billy Hu s’est lancé dans une coopération avec DuPont Taiwan pour la réalisation d’un tissage mêlant les fibres techniques Flycool et Sorona.

L’une des spécificités de Sorona est qu’elle utilise un propane-1,3-diol (PDO) bio créé par DuPont pour Sorona et qui est dérivé de plantes telles que le manioc. Les gains sont importants en termes de réduction des émissions de gaz carbonique, par rapport à des fibres nylon.

Les fibres Sorona ont une bonne élasticité, sont douces au toucher et offrent une grande palette de possibilités pour la coloration. Elles gardent bien les formes et sont résistantes aux taches et au froissement. Surtout, elles absorbent la transpiration. Leur mariage avec Flycool donne donc d’excellents résultats.

Sur ces bases, les deux sociétés travaillent actuellement au développement d’une fibre « trois-en-un » avec l’ajout de polymères biodégradables. L’objectif est d’obtenir des fibres, et donc des vêtements, biodégradables dans certaines conditions d’hygrométrie et de température – typiquement, celles qui prévalent dans les décharges.

La veste fourrée fabriquée avec le textile S.Café combine les avantages d’une veste chaude et d’un coupe-vent. (AIMABLE CRÉDIT DE SINGTEX)

Du café sur les épaules

« Avec 12 bouteilles en plastique et le marc de 3 tasses de café, on peut fabriquer un vêtement ! »

Ne nous y trompons pas : le S.Café développé par Singtex est le premier tissu dûment patenté et reconnu comme contenant des particules de marc de café, lesquelles représentent 2 à 5% de la matière première (le reste provenant de bouteilles recyclées). Le tissu S.Café peut être utilisé pour ses propriétés d’absorption de la transpiration, de désintégration des molécules organoleptiques responsables des odeurs corporelles, de séchage rapide, de contrôle thermique et de protection des rayons ultraviolets. Il peut aussi être utilisé pour stocker la chaleur.

« Dans la vie, les opportunités d’affaires sont partout », dit Jason Chen [陳國欽], le directeur de Singtex, qui attribue l’idée première de S.Café à son épouse. C’était en 2005, raconte-t-il, ils prenaient un café lorsqu’ils ont vu une vieille dame entrer et demander au patron s’il pouvait lui céder le marc des cafés qu’il avait servis dans la journée. Elle expliqua qu’elle voulait s’en servir pour désodoriser son intérieur. L’épouse de Jason Chen s’est alors demandé à haute voix si on pouvait fabriquer du tissu à partir du café. Il n’en fallait pas plus pour piquer la curiosité de l’industriel qui se mit à étudier les propriétés désodorisantes du café.

Au départ, il imagina que, peut-être, comme le charbon de bambou, le café carbonisé aurait des propriétés désodorisantes intéressantes. Mais le café carbonisé noircissait les fibres, ce qui laissait peu de marge de manœuvre sur le plan des couleurs. Des recherches plus poussées lui ont permis de constater qu’il obtenait les meilleurs résultats avec des grains torréfiés car ceux-ci, à moitié brûlés, ont une texture poreuse, un peu comme le bambou, qui peut absorber les odeurs.

Or noir

Le marc de café doit d’abord être séché puis il est réduit en une poudre aux grains d’une extrême finesse (400 nanomètres de diamètre, plus fin qu’un fil de soie naturelle).

Il a finalement fallu à Jason Chen près de trois ans de recherches et d’expérimentations, ainsi qu’un investissement total de plus de 20 millions de dollars taiwanais pour parvenir à mettre au point une fibre qui ne colle pas, ne soit pas trop fragile, n’ait pas d’odeur et conserve les propriétés de départ, à savoir une bonne capacité d’absorption des odeurs et une résistance aux UV.

Singtex a mis successivement huit fibres au café sur le marché jusqu’à atteindre le résultat optimal. Il est intéressant de noter que les trois premières avaient intentionnellement une légère odeur de café, mais Jason Chen, qui n’hésite pas à tester lui-même les t-shirts et vêtements de sport confectionnés par sa société, s’est rendu compte que, d’un point de vue olfactif, le mélange café-transpiration n’était pas très réussi... Dans les versions suivantes, le parfum du café a été éliminé.

Les fibres S.Café de Singtex ont ensuite attiré l’attention de diverses marques, dont la marque française de vêtements de sports d’hiver Eider qui les a intégrées dans divers sous-vêtements. Deux ans plus tard, Singtex fournissait plus de 70 marques internationales de vêtements pour le sport et les activités de plein air dont Adidas, The North Face et Patagonia. Elle remportait aussi le Label d’excellence taiwanais et obtenait une certification de conformité aux normes de recyclage de la société allemande TÜV Rheinland.

Aujourd’hui, Singtex récupère le marc de café auprès de diverses chaînes de magasins de proximité, des chaînes de cafés Starbucks et Mr. Brown ainsi que des groupes alimentaires King Car et Wei Chuan. Cette collecte représente entre 500 et 1 000 kg de marc de café par jour, une matière première permettant la production d’environ 3 300 km de textile par an, soit 1,8 million de t-shirts. La fibre S.Café pèse pour 15% dans le chiffre d’affaires de Singtex.

La mode du recyclé

La transmutation des ordures en or est de plus en plus présentée comme l’avenir du secteur textile. Peu de gens savent que la première entreprise taiwanaise à s’être lancée dans la recherche sur le recyclage des bouteilles PET pour l’industrie textile est une PME de 25 personnes appelée Ecomax, qui est installée à Changhua. Celle-ci a produit la moitié des textiles fabriqués à partir de bouteilles PET qui ont servi à la confection des uniformes des joueurs de la Coupe du monde de football 2010.

Mark Ko [柯漢哲], président d’Ecomax, la société fondée par son père, a été inspiré par l’appel de la vénérable Cheng Yen [證嚴] aux gens de bonne volonté à s’atteler aux questions environnementales, chacun à son niveau, en commençant par ramasser les ordures qui traînent ici où là. En voyant les bouteilles PET s’accumuler dans les rivières de Changhua, il s’est demandé pourquoi il ne serait pas possible de les ramasser pour les recycler.

Mark Ko est le président d’Ecomax Textile qui fut la première entreprise taiwanaise à maîtriser la technique du recyclage des bouteilles PET en fibres textiles. (LAN CHUN-HSIAO / TAIWAN PANORAMA)

Taiwan est le quatrième pays, après les Etats-Unis, l’Allemagne et le Japon, à avoir transformé les bouteilles PET en textiles. Mark Ko s’est inspiré de l’expérience du Japon dans ce domaine et a demandé les conseils de ses collègues industriels à Taiwan ainsi que de chercheurs travaillant sur ces questions.

Deux à trois années d’expérimentations ont été nécessaires pour obtenir un matériau dépourvu d’impuretés et d’une qualité constante. La difficulté a aussi été de donner leur forme aux fibres et d’éviter qu’elles s’effilochent. En 1995, Ecomax commercialisait une fibre courte baptisée Petspun. Au départ, les textiles d’Ecomax n’étaient qu’à 60% à base de bouteilles recyclées, mais une meilleure maîtrise technique a permis à la société de faire monter ce pourcentage jusqu’à 100, pour une fibre ayant une résistance suffisante pour pouvoir être tissée. Finalement, en 2000, la société a réussi à produire une fibre longue à partir de bouteilles PET, une avancée qui a débouché sur un tissu aux applications beaucoup plus larges. Il a par exemple été utilisé pour confectionner des sacs, des vestes, des sous-vêtements, des sacs de couchage destinés aux secours d’urgence, des couvertures d’hôpital, etc.

Parmi les diverses initiatives rendues possibles par la maîtrise de la transformation du plastique PET en fibres textiles, il en est une particulièrement digne d’intérêt : celle de DaAi Technology, une entreprise sociale affiliée à la Fondation bouddhique Tzu Chi. Sous l’égide du bureau de Développement industriel du ministère de l’Economie, DaAi collabore avec cinq entreprises textiles taiwanaises à la création d’une gamme de prêt-à-porter utilisant des fibres issues du recyclage du PET. Ces vêtements seront commercialisés sous une marque commune.

James Lee [李鼎銘], membre du conseil d’administration de DaAi Technology, relève que les textiles en matériaux recyclés sont disponibles dans une gamme de couleurs assez limitée, ce qui rend moins facile leur déclinaison dans une collection de mode. Les cinq entreprises travaillant pour DaAi exploitent les couleurs originelles des matériaux recyclés ou bien procèdent à une coloration des fibres avant leur tissage. Des couleurs complémentaires peuvent être apportées aux créations durant la phase de la couture ou par l’ajout d’accessoires. La priorité est donnée à un design simple et élégant, mais néanmoins dans l’air du temps.

Les vêtements et sacs, qui seront commercialisés vers la fin de l’année, porteront une étiquette à caractère éducatif permettant au client de savoir combien de bouteilles ont été nécessaires à la réalisation de l’article qu’il achète.

Tendances

Une grande partie des vêtements de sport dans les rayons des grandes marques internationales sont fabriqués avec des fibres taiwanaises. Ainsi, la marque de sports d’hiver française Salomon et la marque de vêtements pour yoga canadienne Lululemon Athletica achètent plus de 80% de leurs textiles à des fournisseurs taiwanais. Chaque année, l’une des plus grosses sociétés mondiales du secteur de l’habillement, le conglomérat américain VF (qui chapeaute plus de vingt marques dont The North Face) commande à Taiwan pour 130 millions de dollars américains de produits textiles.

Une preuve de plus certainement que l’industrie textile, à Taiwan en particulier, a beaucoup investi dans la R&D afin de faire face à l’évolution de la demande, pas seulement pour des produits respectueux de l’environnement, mais aussi pour des textiles et vêtements de protection – une catégorie large englobant les uniformes et équipements militaires, les vêtements des joueurs de football américain, les blouses chirurgicales ou encore les vêtements de protection à hautes performances utilisés dans l’industrie nucléaire, biologique ou chimique.

Pour Chiu Sheng-fu [邱勝福], en charge de l’industrie et des services informatiques à l’Institut taiwanais de recherche sur le textile, il est clair que la réduction de l’impact environnemental est devenue une priorité de la R&D. Le recyclage, dit-il, est de plus en plus compris comme « la réutilisation d’un produit à l’intérieur de son cycle de vie originel ». Cela commence à l’étape du design, par exemple avec le choix de matériaux qui peuvent se décomposer naturellement à 100%.

Dans les années 90, on a beaucoup parlé du déclin de l’industrie textile taiwanaise. On peut penser aujourd’hui que celle-ci ne faisait tout simplement pas assez d’efforts pour rester en phase avec son temps. Elle a en tout cas réussi à se débarrasser de l’image peu flatteuse d’industrie polluante qui était la sienne et a accepté d’adopter une attitude socialement plus responsable. Et ces efforts méritent certainement davantage de soutiens et d’encouragements.

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